Cotonnière

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LA COTONNIÈRE

Saint-Étienne-du-Rouvray, boulevard Industriel

Textile, filature et tissage du coton

1865-1932

 

Dans la perspective d’étendre son activité à la France, la société bruxelloise des Filatures et Tissage Scheppers dirigée par Émile Jean-François Scheppers, jette en 1865, son dévolu sur le territoire de Saint-Étienne-du-Rouvray et ses vastes prairies, pour installer une nouvelle usine textile. À cette époque, la commune n’ayant pas encore été transformée par l’industrie comme Sotteville-lès-Rouen, Petit-Quevilly ou Oissel, son économie est encore largement basée sur l’agriculture et l’artisanat. Scheppers peut donc facilement trouver les terrains dont il a besoin pour l’instal­lation de son usine de filage et tissage du coton, bénéficier de la proximité du chemin de fer et de la Seine pour l’approvisionnement en matières premières ainsi que d’une main-d’œuvre abondante. Fondée à Saint-Étienne-du-Rouvray au printemps 1865, la société La Cotonnière acquiert rapidement son autonomie financière en devenant, le 30 novembre 1865, une société à responsabilité limitée au capital de six millions de francs.

Implantée au cœur d’un terrain de 23 hectares, l’usine textile se compose de deux ateliers de filage appelés petite et grande filature, de deux tissages, de magasins, de divers ateliers et d’une usine à gaz destinée à l’éclairage des bâtiments. La Cotonnière familièrement appelée par ses ouvriers la « Coto » est à sa création la plus importante usine textile de la rive gauche de la Seine et compte 1 140 ouvriers en 1867. En quelques années, celle-ci s’impose comme l’une des plus grandes usines textiles de Normandie et un véritable poids lourd de la production cotonnière en France, disposant de 90 900 broches et de 563 métiers à tisser.

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Malgré la vitalité de l’entreprise remise en cause momentanément par les conséquences de la guerre de Sécession en Amérique qui la prive de coton, Émile Scheppers, décide, le 5 octobre 1867, de passer la main. Après la guerre de Sécession, la guerre franco-prussienne de 1870-1871 constitue un nouveau coup dur pour l’usine textile. La mobilisation d’une partie de son personnel masculin contraint la direction de l’établissement à stopper l’activité de la filature. Les ouvriers restants, réduits à l’inactivité, sont alors dirigés vers des tâches de terrassement ou vers le tissage qui poursuit son activité grâce à ses réserves de fils.

Le 1er mai 1872, la Société Cotonnière est transformée en société anonyme. Cette même année, dans la nuit du samedi au dimanche 2 juin, l’établissement textile est victime d’un incendie d’une rare violence. Le sinistre entraîne la destruction des deux étages supérieurs de la grande filature composée d’un vaste bâtiment en briques long de 130 mètres sur 25 mètres de large et renfermant des métiers de renvideurs, des bancs à broches composés de 75 000 broches ainsi qu’une machine de 1 200 CV alimentant en énergie les installations. Si cet incendie constitue une lourde perte pour la production du fil, en revanche, les travaux de tissage qui occupent la plus grande partie des 900 ouvriers que compte l’usine à cette date, peuvent se poursuivre grâce à une machine à vapeur épargnée par l’incendie. Dans les mois qui suivent l’incendie, le bâtiment sinistré est reconstruit en prenant soin d’éliminer tout ce qui pouvait être source de combustion.

En 1879, l’usine textile aligne 80 000 broches et 600 métiers à tisser mus par un ensemble de machines à vapeur représentant une puissance de 1 500 CV, l’ensemble occupant 1 050 ouvriers. Une grande partie d’entre eux est logée dans la cité construite par La Cotonnière aux portes de l’usine et qui constitue une véritable ville dans la ville. Soucieuse d’attirer et de retenir la main-d’œuvre, la direction de l’entreprise offre à son personnel, en plus des logements, une bibliothèque, une pharmacie, une crèche pour les enfants des ouvrières, un asile pour le soin des malades, une école de filles gérée par les sœurs de la communauté de Saint-Vincent-de-Paul, une école de garçons, ainsi qu’une chapelle. Malheureusement, le 29 juin 1889, un incendie vient une nouvelle fois bouleverser la production de l’établissement alors placé sous la direction de Georges De Moor. Le sinistre implique cette fois-ci la petite filature qui emploie 150 ouvriers. Ce bâtiment construit en 1865 sur deux niveaux et qui mesure 60 mètres de long et 30 de large, renferme 11 800 broches et abrite à l’étage renvideurs, cardes, bancs-broches et laminoirs. La répétition des incendies, pousse la direction de l’usine à revoir la conception de ses ateliers. Si les premiers d’entre eux avaient été édifiés, comme la plupart des autres filatures de la région, en étages, la reconstruction des bâtiments va se faire sur la base d’une organisation horizontale de l’espace de travail rendue possible par la grande surface de terrain disponible autour de l’usine.

L’aménagement des nouveaux ateliers est l’occasion d’augmenter les capacités de production de l’usine. En 1892, celle qui est encore la plus importante de la région produit 3 681 823 kilogrammes de fils et 7 641 480 mètres de tissus grâce à 1 410 employés dont une forte proportion de femmes. En 1904, cet effectif atteint même le nombre de 2 000 ouvriers, mais n’est plus que de 1 600 six ans plus tard. Jusqu’à la fin des années 1910, La Cotonnière dont le rôle a été fondamental pour l’essor économique et démographique de Saint-Étienne-du-Rouvray, conserve encore la place du plus gros employeur de la commune.

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Durant la première guerre mondiale, à l’image des autres établissements textiles de la région, l’usine stéphanoise va tenir son rôle dans la fourniture de tissus destinés à l’équipement des armées. En septembre 1915, 200 métiers sur les 1 006 en service sont ainsi réservés à la fourniture des commandes passées par les services de l’Intendance militaire. L’établissement, qui ne cesse de se développer et de se moderniser pour garder son rang et son dynamisme, se compose en 1925, de trois filatures équipées de 120 000 broches et de 20 000 broches à retordre pour le filage du coton d’Amérique et des Indes. L’activité de tissage est menée dans les deux ateliers de l’établissement réunissant 1 350 métiers à tisser spécialisés dans la production d’articles de Rouen et de Tissus destinés à l’exportation vers les colonies françaises. À cette date qui marque l’apogée de l’activité de La Cotonnière, l’usine textile stéphanoise, qui demeure toujours la plus importante de la région emploie 2 500 ouvriers.

Cependant, malgré la modernisation de son outil de production et l’amélioration de ses méthodes de travail au lendemain de la Grande Guerre, l’entreprise est frappée, comme l’ensemble de la filière textile normande, par une succession de crises de mévente qui se succèdent durant les années 1920 et qui trouvent leur point culminant avec la crise économique de 1929. La situation est aggravée à La Cotonnière par l’achat, en 1930, de cotons de qualité médiocre qui se traduit par la production de tissu de moins bonne valeur et a pour effet d’entraîner une perte importante de marchés.

Comme un tiers des usines textiles normandes, La Cotonnière qui comptait encore 2 000 salariés en décembre 1930 est contrainte de cesser définitivement son activité durant le premier semestre de l’année 1932. Faute de repreneur, le per­sonnel de l’entreprise se retrouve au chômage le 1er juillet. Dans cette période de crise pour l’industrie textile, seule une partie des ouvrières licenciées réussit à retrouver du travail dans les autres établissements de la rive gauche qui continuent de fonctionner. Celles-ci vont en particulier réussir à se faire embaucher par l’usine textile Bertel à Sotteville-lès-Rouen.

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Désaffectée, l’ancienne Cotonnière va retrouver un second souffle après son rachat par la Société d’Application Générale d’Électricité et de Mécanique (Sagem) qui convertit, en 1945, les anciens ateliers de production textile et de stockage en atelier de fabrication de matériels électriques.

Source : Histoires d’usines – 180 ans de vie industrielle dans l’agglomération rouennaise